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La perception de la population avant le coup d'État au Niger

"Le Niger a aussi besoin d'une intervention internationale (faisant allusion au Mali et à l'opération Serval)". Cette déclaration d'une source du ministère des Affaires étrangères en 2015 sous la présidence de Mamadou Issoufou montrait l'intérêt qu’avait le Niger de faire valoir ses atouts auprès de la communauté internationale. L'intervention des troupes internationales était alors perçue comme un coup de pouce vital dont le pays sahélien avait besoin pour s'engager dans la realpolitik comme le Mali le faisait déjà depuis que la Communauté internationale s'était déployée massivement en 2013 pour défendre la souveraineté territoriale contre l'occupation par des groupes armés djihadistes et nationalistes.

L’ancien président Issoufou et son successeur, l’actuel président déchu Mohamed Bazoum avaient sollicité la présence de troupes étrangères au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Tous deux avaient compris que la protection de leurs frontières au Sud avec le Nigeria et à l'Ouest avec le Mali nécessitait une intervention urgente des acteurs internationaux. La population nigérienne ne se serait pas montrée hostile à la présence de troupes étrangères sans le précédent du Mali voisin qui, après plus de onze ans de déploiement des troupes de l'opération Barkhane sur le terrain, n’ont pu que constater une montée de la violence. Les forces internationales sous la bannière de la France ou des Nations Unies n'ont pas obtenu les résultats escomptés par l'État malien qui cherchait à restaurer l'intégrité territoriale du pays.

Cette intervention était prévue pour sauver le pays de l'occupation du nord du pays (Azawad) par les milices sécessionnistes et djihadistes. Depuis lors, une partie de l'insurrection sécessionniste gère la sphère politico-économique sans avoir de comptes à rendre à l'administration centrale. Pendant la période de déploiement des forces internationales, l'État malien, confronté à la multiplication des milices armées et à un pandémonium de violence a non seulement perdu sa souveraineté au nord, mais est aussi en train de perdre le contrôle du centre du pays (la région du Macina). La dynamique de la violence a dépassé le territoire malien, se reproduit et s'amplifie dans le fameux triangle Liptako-Gourma qui comprend le Burkina Faso et le Niger, alors que les mécanismes internationaux de sécurité se sont multipliés ou déplacés d'un pays à l'autre au gré des changements géopolitiques dans la région.

Cet échec sécuritaire est attribué à la France car elle a été au cœur de l’effort militaire déployé depuis 2012. Le bilan des autorités maliennes sur la gestion française après plus d'une décennie est clairement négatif et a également été perçu comme tel par la population nigérienne.

Plus de 90% des Nigériens ont déclaré ne pas souhaiter le débarquement de troupes internationales par crainte d'une dérive potentielle vers une plus grande insécurité, selon les résultats d'une enquête menée en juin 2022 par notre équipe du Baromètre Citoyen de la Sécurité du LASPAD. L'enquête a porté sur près de 600 personnes interrogées sur leur perception des différentes opérations de maintien de la paix, deux mois après que l'Assemblée nationale du Niger ait approuvé, en avril 2022, l’arrivée sur le sol nigérien des forces françaises et européennes de l'opération Barkhane, ainsi que celles de l’opération Takuba. Le Niger se profilait déjà, au moment de la réalisation de l’enquête, comme le nouveau laboratoire de sécuritisation pour de nouveaux venus comme l’Italie avec la construction d’une nouvelle base militaire près de l’aéroport de Niamey, rivalisant avec les acteurs classiques comme la France et les États-Unis.

Boureima Hama /AFP « Des enfants dans le village de Zibane-Koira Zéno, dans la région de Tillabéri, en proie aux attaques de djihadistes.

La décision du Niger de s'en remettre à la gouvernance sécuritaire française au Sahel n'est pas soutenue par les citoyens nigériens, dont 56 % disent en être "très insatisfaits". Sur les 514 personnes interrogées, seules quatre se sont déclarées "très satisfaites" de la performance de la France. Dans l'ensemble, les Nigériens interrogés ont également exprimé leur méfiance à l'égard du transfert de la gouvernance de la sécurité à des acteurs non africains. Au total, 32 % ont déclaré que le niveau de confiance est très faible dans la gestion externe de la gouvernance de la sécurité, et 25 % ont exprimé catégoriquement qu'ils n'avaient "pas du tout confiance". Outre l'opération Barkhane, qui a le pouvoir d'intervenir sur le sol nigérien, avec plus de 2.000 soldats, dans le cadre de la stabilisation de la région et du contrôle des menaces, il existe un autre mécanisme de sécurité régionale dont le nom a acquis une grande popularité mais pas de légitimité.


Baromètre citoyen de la sécurité, Enquête Niger 2022, LASPAD.

Il s'agit du G5 Sahel, dont l'efficacité est également remise en cause par les populations qui, d'une part, déclarent à près de 50% ne se sentir ni menacées ni protégées. Cette perception de satisfaction des résultats du G5-Sahel rejoint la perception de la population nigérienne sur la gouvernance sécuritaire africaine qui a peu de poids auprès de la population. Avec tous ces éléments, on comprend mieux la réaction des citoyens au coup d'État du général Abdourahmane Tchiani du 26 juillet 2023 qui, à travers des structures comme le collectif M62, dénonce l’insécurité croissante, l'inflation, le coût de la vie et surtout la présence de l'armée française.

Si ce dernier élément semble si important, c’est parce que cette présence militaire incarne le mieux la perte de souveraineté sur les richesses du pays. En effet, le soutien de la population au départ des forces militaires étrangères est associé à "l’expatriation" des ressources premières dont les 2.200 tonnes d’uranium extraits par Orano en 2021. La société française exploite depuis cinq décennies deux sites miniers dont l’un fut épuisé en 2021, et un troisième, Imouraren dont les réserves sont estimées à 174.000 tonnes pour une durée d’exploitation de 43 ans, est à l’étude depuis plusieurs années. Les enjeux économiques restent en définitive le principal facteur structurel de ces bouleversements politiques.


Beatriz MESA

Internationaliste et politologue, Maître de conférences à l’Université Gaston Berger et chercheure au LASPAD (laspad.org), associée au CGS de l’Université Internationale de Rabat


Rachid ID YASSINE

Sociologue, anthropologue, Maître de conférences à l’Université Gaston Berger, chercheur au LASPAD (laspad.org) et coordinateur principal du Baromètre citoyen de la sécurité


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BCS Note#3 Coup d'État au Niger
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