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SAUVER LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Beatriz MESA[1]


Ce qui distingue l’Afrique, et en particulier le Sahel, du reste du monde, c’est son capital humain et ses terres. Le continent africain possède 60 % des terres cultivables inexploitées de la planète et une main-d’œuvre qui pourrait garantir une production alimentaire durable. L’Europe, quant à elle, est consciente de sa principale faiblesse, le vieillissement démographique et l’épuisement des terres fertiles. C’est pourquoi elle se tourne à nouveau vers l’Afrique pour trouver des solutions à ses problèmes. Auparavant, les pays africains avaient déjà servi d’amortisseurs aux transformations survenues en Europe après la deuxième révolution industrielle (XIXesiècle). Il en résulta une surproduction qui, associée à la croissance démographique, a provoqué l’émigration de plus de 40 millions d’Européens vers l’Afrique. La répartition coloniale avait déjà été consolidée entre les puissances ayant des ambitions économiques et aspirant à l’extension du capitalisme vers les pays du Sud. Il est vrai que le continent a désormais gagné en autogestion économique, mais la dépendance vis-à-vis des pays européens persiste. En fait, l’Europe n’a jamais quitté l’Afrique. Et davantage aujourd’hui puisque les prévisions pour le continent du sud sont très encourageantes compte tenu de l’inépuisable disponibilité d’énergie solaire, en plus de la production de ressources énergétiques et minérales.

TERRES AGRICOLES ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE

Les ressources naturelles dans les pays africains ont attiré de nombreuses multinationales qui n’ont néanmoins pas généré de développement significatif chez les citoyens. Les profits résultant de leur exploitation, depuis les indépendances de ces pays (années 1960), ont été répartis entre les élites et les sous-élites. Le reste de la population a survécu grâce au vaste réseau d’économie informelle qui, selon l’intellectuel Felwine Sarr dans son ouvrage Afrotopia, représente 54,2 % du produit intérieur brut des pays d’Afrique subsaharienne et, bien sûr, grâce à la terre car, encore une fois, en Afrique, et en particulier au Sahel, la terre est une ressource très importante.

Ceci étant dit, la croissance démographique dans le territoire du Sahel signifie une prévision de perte de terre cultivable de plus de cent mille hectares par an dans des pays comme le Niger qui ont l’un des taux de natalité les plus élevés (une moyenne de 7,6 enfants par femme). Malgré cela, ces pays restent compétitifs en termes de production agricole (l’agriculture est la principale source de revenus pour 90 % des travailleurs et représente 50 % des recettes d’exportation[2].

La terre, le patrimoine du Sahel pour son agriculture et son élevage (l’élevage bovin et caprin y est très développé) ne doit pas être hypothéqué au capitalisme en le vendant à des sociétés internationales. Selon la FAO[3], les acquisitions de terres à grande échelle augmentent rapidement, ce qui crée le risque – si c’est mal géré – que les populations rurales pauvres perdent leurs droits sur les terres et sur d’autres ressources naturelles.

L’économie de ces populations dépend de la nourriture produite dans les campagnes et c’est là que réside la solution, mais il y a aussi des problèmes, comme les conflits environnementaux, la hausse des prix des céréales ou la violence, et il y a des risques relatifs à mesurer, comme la croissance démographique. En 2050, la population africaine devrait au moins doubler et il y aura plus de 2 milliards de personnes à prendre en charge. Dans des pays du Sahel – le Niger, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso et le Tchad – la population doublera. La question est donc de savoir si la production agricole sera en mesure de nourrir autant de personnes. À cet égard, les experts[4] préviennent que les pays situés entre l’Atlantique (Sénégal) et la mer Rouge (Soudan) sont confrontés à une menace majeure : l’insécurité alimentaire. La combattre dépend de la volonté des États africains de faire de cette menace une priorité dans l’agenda des politiciens, des ONG, des coopératives et de la société civile en général.

DE LA CRISE ALIMENTAIRE À LA CRISE SÉCURITAIRE, ET INVERSEMENT

Le fait que les populations du Sahel dépendent de leurs terres et de leur eau se traduit par l’agriculture, l’élevage, la pêche ou l’aquaculture, parmi leurs principales activités qui, à leur tour, représentent la stabilité économique et sociale des populations. Tout événement imprévu ayant un impact négatif sur le secteur agricole aurait des conséquences sur l’économie nationale et donc sur la création d’emplois. Actuellement, la situation est critique pour la sécurité alimentaire en raison de la recrudescence des conflits dans les zones à prédominance agricole avec un fort taux de jeunes, 60% des Africains ayant moins de 24 ans[5].

Par exemple, la région de Macinas au centre du Mali, où l’élevage et les récoltes font vivre des milliers de familles, est secouée par des groupes extrémistes violents. L’insécurité touche cette région et les régions voisines vers le nord du Mali (Azawad) et le sud du pays, empêchant le bon fonctionnement de la chaîne de distribution alimentaire par les réseaux de transport. Les groupes qui attaquent de manière indiscriminée les camions sur les routes qui échappent au contrôle de l’État, ainsi que les zones rurales où se déroulent les activités agricoles, interrompent le développement d’une production fondamentale pour ces populations et ont même déstabilisé les marchés. Cette source de richesse n’est pas seulement la base économique des familles, mais elle signifie aussi l’identité de toute une communauté. En d’autres termes, l’élevage ou l’activité agricole est la configuration palpable de grandes tribus qui ne se reconnaissent pas en dehors de cet exercice qui, au-delà de l’aspect économique, répond à une logique sociale et culturelle.

Ainsi, d’une part la crise alimentaire est accentuée par les flambées dans l’espace sahélien, conséquence de l’augmentation de la violence, et d’autre part le facteur environnemental continue d’avoir un impact négatif sur les campagnes en raison de la diminution des précipitations dans les zones traditionnellement dédiées à l’agriculture et à l’élevage. Cette rareté de la ressource en eau dans les familles qui n’ont pas les moyens d’installer un système d’irrigation leur permettant de dépendre de leurs propres cultures ou de leur bétail a un impact direct sur leur mode de vie quotidien, ce qui, à son tour, entraîne des flux migratoires circulaires, au sein du continent africain, voire au-delà des frontières africaines.

Le déficit alimentaire génère également une transition des zones rurales vers les villes, qui commencent à concentrer une main-d’œuvre excessive. Le continent africain devrait connaître la croissance urbaine la plus rapide au monde : d’ici 2050, les villes africaines accueilleront 950 millions de personnes supplémentaires. 97 % des agglomérations urbaines d’Afrique comptent moins de 300 000 habitants, ce qui souligne l’importance des petites et moyennes agglomérations comme moteurs d’une croissance économique durable. Ces agglomérations réduisent également de plus en plus les distances entre les populations urbaines et rurales, estompant ainsi le frontière entre les deux.

LES ÉNERGIES RENOUVELABLES, UNE SOLUTION À L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Si l’on se concentre sur l’Afrique subsaharienne et le Sahel, on constate que l’utilisation des énergies renouvelables est pour l’instant marginale, mais leur utilisation apporterait des réponses immédiates à des besoins urgents tels que l’électricité rurale pour la production et le confort domestiques. La richesse du soleil et du vent sont des énergies renouvelables dont bénéficient les pays africains avec un ensoleillement moyen de 1 200 kw par mètre carré et par an, donc leur incorporation dans les stratégies des politiques économiques du Sahel et de l’Afrique subsaharienne aurait des effets positifs remarquables. En particulier, dans la production agricole, l’élevage et le bois, dont ces pays dépendent à grande échelle.

L’expérience d’une entreprise familiale germano-africaine, Africa Grentec, a montré au cours des deux dernières années que l’utilisation de conteneurs solaires dans des villages isolés et moins isolés du Mali a commencé à stimuler l’économie locale et à assurer la sécurité alimentaire à long terme. L’amélioration des conditions de vie des populations par la promotion de projets avec des conteneurs de panneaux solaires est une réalité[6].

Dans le village de Badougu-Djoliba, à une cinquantaine de kilomètres de Bamako, l’installation de panneaux solaires permet d’amortir le double choc du déficit en électricité et en eau. Pour l’instant, ces panneaux permettent de produire de l’électricité pour les maisons et les cliniques, ainsi que la possibilité d’extraire de l’eau potable des puits pour la production agricole. À cet égard, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture recommande, depuis des années, le développement de systèmes d’énergie renouvelable à petite échelle dans les exploitations agricoles et les zones rurales, où se concentre la majeure partie de la population sahélienne. Le Burkina Faso, par exemple, illustre cette affirmation : 80 % de ses citoyens vivent dans des zones rurales et sont donc dépendants de l’agriculture et de l’élevage, tandis que seulement 10 % ont accès à l’électricité. Dans ce pays, la centrale solaire de Zagtouli, la plus grande d’Afrique de l’Ouest, fournit de l’énergie propre à environ 660 000 personnes.

Les prévisions de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) indiquent qu’avec des politiques, une réglementation, une gouvernance et un accès aux marchés financiers appropriés, les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne d’ici 2030.

[1] Internationaliste et politologue, Maître de conférences à l’Université Gaston Berger et chercheure permanente au LASPAD et associée au CGS de l’Université Internationale de Rabat [2] http://www.afriqueverte.org/r2_public/media/fck/File/Documentation/DocsAV/agriculture-sahel-fiche.pdf [3] http://www.fao.org/news/story/fr/item/19976/icode/ [4] http://https://www.wri.org/insights/improving-food-security-sahel-difficult-achievable [5] https://ideas4development.org/jeunesse-africaine-avenir-continent/ [6] https://www.dw.com/es/contenedores-solares-para-impulsar-la-econom%C3%ADa-de-mali/a-52525793


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